L'ABC de la compensation par une municipalité d'une dette d'un employé à son égard!
Fédération québécoise des municipalités | Québec - Samedi, 6 juillet 2019Par Me Catherine Filteau, avocate au sein de la Fédération québécoise des municipalités
Dans une récente décision de la Cour du Québec[1], le juge reconnaît qu’une retenue sur le salaire d’un employé n’est pas visée par l’article 49 de la Loi sur les normes du travail (ci-après : la « LNT »), lequel vise plutôt les retenues faites par l’employeur au bénéfice de tiers. Cela signifie qu’une municipalité peut compenser une dette qu’un employé a envers celle-ci, sans autorisation préalable, sous certaines conditions.
Cette décision rappelle un principe précédemment établi par la Cour d’appel, possiblement oublié de quelques-uns, en matière de retenue sur le salaire d’un employé effectuée par et au bénéfice de son employeur.
Contexte
À la suite d’un congédiement, l’employeur effectue des retenues salariales sur les dernières paies d’un employé sur la base des règles de la compensation légale. L’employé conteste cette façon de procéder et, représenté par la CNESST, invoque qu’il s’agit d’une infraction à l’article 49 de la LNT, lequel interdit les retenues sur le salaire sans l’autorisation écrite de l’employé.
L’article 49 de la LNT se lit comme suit :
« 49. Un employeur peut effectuer une retenue sur le salaire uniquement s’il y est contraint par une loi, un règlement, une ordonnance d’un tribunal, une convention collective, un décret ou un régime complémentaire de retraite à adhésion obligatoire.
L’employeur peut également effectuer une retenue sur le salaire si le salarié y consent par écrit et pour une fin spécifique mentionnée dans cet écrit.
Le salarié peut révoquer cette autorisation en tout temps, sauf lorsqu’elle concerne une adhésion à un régime d’assurance collective ou à un régime complémentaire de retraite. L’employeur verse à leur destinataire les sommes ainsi retenues. »
La Cour du Québec, ne retenant pas la position de l’employé, s’exprime ainsi :
« [113] Le Tribunal ne peut faire droit à l’argument avancé par la CNESST et M. Brossard puisque la Cour d’appel a décidé à plus d’une reprise que l’interdiction légale de retenue sur le salaire prévue à l’article 49 LNT n’empêche pas l’employeur d’invoquer les règles du droit civil portant sur la compensation légale pour effectuer la compensation d’une dette certaine, liquide et exigible du salarié envers lui, en retenant une partie du salaire dû au salarié comme mode de paiement de cette dette, puisque la prohibition de l’article 49 LNT ne vise que des retenues faites pour le bénéfice de tiers[2]. » (nos soulignés)
Ainsi, ce que l’article 49 de la LNT vise à prévenir, ce sont les dettes d’un employé envers un tiers « qui pourraient être recouvrées par le biais d’un employeur complaisant[3] ».
Ce faisant, lorsqu’un employé doit une somme d’argent à son employeur, ce dernier est en droit de soustraire cette somme du salaire de l’employé, sans son autorisation préalable, et ce, en vertu des règles de la compensation légale.
On peut penser, par exemple, au cas d’un employeur qui verse par anticipation les vacances annuelles à ses employés. Lorsqu’un employé quitte définitivement son emploi, l’employeur pourra retenir sur son salaire le montant de l’indemnité de vacances remis par anticipation, si l’employé bénéficie d’un trop-perçu.
Un autre exemple serait celui de l’employeur qui assume, en plus de sa part de prime d’assurance collective, celle de l’employé durant l’absence pour maladie de ce dernier. Dans ce cas, l’employeur peut, à la suite du retour au travail de l’employé, retenir le montant des primes versées à la place de l’employé sur le salaire de l’employé visé.
Principe de la compensation légale
Mais attention, avant de prélever une somme sur le salaire d’un employé, il est nécessaire de valider que les principes de la compensation légale s’appliquent à la situation en question.
La compensation est l’extinction de deux dettes réciproques entre deux personnes, jusqu’à ce que celle qui est la plus faible soit acquittée. En d’autres mots, le recours à la compensation est envisageable lorsque deux personnes ont chacune une dette envers l’autre. Dans ce cas, il est possible de réduire le montant de la plus grande dette par celui de la plus petite, faisant ainsi en sorte d’éteindre la plus petite des dettes.
Le Code civil du Québec prévoit que ces dettes mutuelles doivent être certaines, liquides et exigibles[4]. D’une part, pour qu’une dette soit certaine, elle ne doit pas être litigieuse ou sérieusement contestable. Toutefois, un employé n’a pas à reconnaître qu’il a une dette envers son employeur, cette certitude peut se dégager de l’ensemble des faits[5]. D’autre part, pour qu’une dette soit liquide et exigible, elle doit être chiffrée, c’est-à-dire que la somme due doit être identifiée ou identifiable. De même, cette somme ne doit pas être affectée d’une échéance, ou alors, l’échéance doit être expirée.
C’est le cas lorsqu’un employeur verse en trop une somme à un employé. L’employeur peut alors faire une retenue sur le salaire dû à l’employé, et ce, même si ce dernier est en désaccord.
En pratique
En pratique, nous recommandons de rencontrer l’employé visé par une éventuelle compensation avant de retenir quelque somme que ce soit sur son salaire. Comme vous le savez, prélever une somme sur le salaire d’un employé peut avoir un impact sur sa situation financière.
Suivant cette rencontre, des modalités de remboursement pourraient être convenues. En tenant compte de l’importance de la somme due, il serait préférable, à notre avis, d’échelonner le remboursement de façon raisonnable en vue de ne pas porter préjudice à l’employé.
Il est à noter que cette décision a été rendue en milieu non syndiqué. Ainsi, la conclusion du tribunal pourrait être différente si une convention collective prévoyait des particularités à cet effet. En milieu syndiqué, il est toujours important d’examiner la convention collective et de compléter avec la LNT, le cas échéant.
Conclusion
Ce rappel par la Cour du Québec viendra certainement conforter plusieurs employeurs municipaux dans leurs actions, lorsque viendra le temps d’effectuer des retenues sur le salaire d’un employé en raison d’une dette que ce dernier a envers son employeur. En effet, les employés ne peuvent pas invoquer l’article 49 de la LNT afin de s’opposer à de telles retenues.
Dans tous les cas, nous vous recommandons, par prévoyance, de consulter un avocat avant de procéder à une retenue sur le salaire de l’un de vos employés, afin de vous assurer d’agir en toute légalité.
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec le Service en ressources humaines et relations du travail de la FQM.
[1] Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Richter, 2019 QCCQ 1952
[2] Précité, note 1, par. 113
[3] Précité, note 1, par. 115
[4] Code civil du Québec, art. 1673
[5] Commission des normes du travail c. Motos Daytona inc., 2009 QCCA 1833, par. 6
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Par Catherine Bélanger, conseillère en ressources humaines à la FQM
Pratique
Jurisprudence
Responsabilité municipale | Belmamoun c. Ville de Brossard, 2023 QCCS 3826 * |
Aménagement et urbanisme | St-Pierre c. Audet, 2023 QCCS 2610 |
Aménagement et urbanisme | 7350121 Canada inc. c. Ville de Montréal, 2023 QCCA 1335 |
Taxes | Ville de Boisbriand c. Centre communautaire religieux hassidique, 2023 QCCA 1301 |
Permis | Delage c. Ville de Westmount, 2023 QCCA 1251 |
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