La théorie du mandat apparent s'applique-t-elle au domaine municipal?
Dunton Rainville — Avocats et notaires | Montréal - Vendredi, 7 avril 2017Par Me Alexandre Fournier, avocat en droit public et municipal au sein du cabinet Dunton Rainville
Est-ce que la promesse faite par un fonctionnaire municipal de retenir les services d’un entrepreneur lie la municipalité en l’absence de tout règlement ou résolution à cet effet? Autrement dit, peut-on importer au domaine municipal la théorie de droit privé du mandat apparent, faisant en sorte que le fonctionnaire pourrait lier la municipalité bien qu’il outrepasserait son mandat?
La Cour d’appel a récemment répondu à ces questions en rappelant que la théorie du mandat apparent ne devait s’appliquer que très restrictivement au domaine municipal[1]. La Cour siégeait en appel de la décision de la Cour supérieure dans GM Développement inc. c. Québec (Ville de)[2], condamnant la Ville à payer 164 652,83 $ à GM en dommages pécuniaires réclamés à titre d’honoraires et de frais professionnels.
À l’automne 2005, GM a proposé à la Ville un projet de revitalisation de la Place Jacques-Cartier, dont la Ville est propriétaire, sous la forme d’un partenariat public/privé. La Ville a accepté de traiter exclusivement avec GM et ses fonctionnaires et architectes se sont mis à collaborer à la mise sur pied du projet.
Un haut fonctionnaire a notamment dit à un représentant de GM qu’ « on a une entente, on le fait ». Le conseil d’arrondissement a quant à lui octroyé une dérogation mineure au zonage concernant la hauteur de l’édifice à être érigé et a adopté par règlement les plans de construction préparés par les architectes retenus par GM[3].
Le développement du projet s’est étendu sur plus de trois ans pendant lesquels il n’existait « aucun règlement ou résolution octroyant un contrat ou des honoraires à GM, ni aucun contrat écrit liant la Ville à GM »[4]. Finalement, le projet a échoué en raison de l’opposition d’un tiers détenant un droit de préférence de se porter acquéreur des terrains visés.
La Cour d’appel prend d’abord acte de l’adoption de la résolution et du règlement par le conseil d’arrondissement. Elle note que le conseil détenait ce pouvoir en vertu de la Charte de la Ville de Québec, mais qu’il ne peut s’agir d’une ratification d’un contrat entre GM et la Ville puisque la Charte ne lui octroie pas la compétence de conclure des contrats d’une valeur de plus de 100 000 $[5]. Elle conclut également que les pouvoirs octroyés au haut fonctionnaire n’étaient pas suffisants pour lui permettre de contracter directement avec GM.
Ayant déterminé qu’aucun contrat n’a été validement conclu entre la Ville et GM, la Cour a ensuite examiné l’application faite par le juge de première instance de la théorie du mandat apparent. Tout en rappelant l’arrêt Verreault de la Cour suprême écartant clairement cette transposition au domaine municipal[6], elle a critiqué l’interprétation donnée à l’arrêt Adricon[7] par le juge de première instance. La Cour suprême y mentionnait effectivement qu’une municipalité invoquant un « défaut d’accomplir des formalités administratives » ne pouvait échapper à « un contrat qui est exécuté et dont elle profite »[8]. Toutefois, « un contrat de construction dûment autorisé existait au départ entre les parties »[9], alors que la Cour a déjà déterminé qu’il n’y avait pas de tel contrat entre GM et la Ville. Pour ces raisons, la Cour a accueilli l’appel de la Ville et rejeté la demande de GM.
Par cet arrêt, la Cour d’appel réaffirme que la théorie du mandat apparent ne peut permettre de valider un contrat entre une municipalité et un tiers en l’absence de tout règlement ou résolution. Il s’agit essentiellement d’un rappel que « [l]es personnes qui veulent faire affaire avec une municipalité doivent être très prudentes, car celle-ci ne peut se lier que par résolution ou règlement et à la condition que toutes les formalités requises soient respectées rigoureusement »[10].
[1] Ville de Québec c. GM Développement inc., 2017 QCCA 385.
[2] 2015 QCCS 2501
[3] Id., par. 17, 134 et 138.
[4] Id., par. 5 et 117.
[5] Ville de Québec c. GM Développement inc., préc., note 1, par. 18.
[6] Verreault & Fils c. P.-G. Québec, [1977] 1 R.C.S. 41, 47.
[7] Adricon Ltée c. Ville d’East Angus, [1978] 1 R.C.S. 1107.
[8] Id., p. 1126.
[9] Ville de Québec c. GM Développement inc., préc., note 1, par. 23.
[10] Jean Hétu et Yvon Duplessis, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, Éditions Wolters Kluwer, 2017, n° 9.34.
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