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Les recours des victimes par ricochet d'un préjudice corporel : le délai de prescription de 6 mois ou de 3 ans? La Cour suprême tranche

Dunton Rainville — Avocats et notaires | Montréal - Vendredi, 27 octobre 2017
 

Par Me Carolan Villeneuve, avocate en droit municipal au sein du cabinet Dunton Rainville

En vertu de leurs lois particulières[1], les municipalités bénéficient d’un délai plus court de prescription, soit 6 mois, à l’expiration duquel la réclamation d’une personne ayant subi un préjudice du fait de leur faute ou de celle de l’un de leurs employés peut être déclarée irrecevable.

Fait toutefois exception à cette règle, l’article 2930 du Code civil du Québec qui prévoit que lorsque l’action est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui, le délai de prescription ne peut être inférieur à 3 ans.

Ainsi, le délai de prescription d’un recours d’une personne ayant subi une blessure par la faute d’une municipalité ou de l’un de ses employés serait de 3 ans alors que celui pour le dommage aux biens de cette même personne serait de 6 mois.

Qu’en est-il lorsqu’un tiers, soit une personne n’ayant pas elle-même subi une atteinte à son intégrité physique, réclame des dommages à une municipalité pour le préjudice moral et matériel découlant de l’atteinte à l’intégrité physique d’une autre personne ? La Cour Suprême s’est récemment prononcée sur cette question dans l’affaire Dorval c. Montréal (Ville de), 2017 CSC 48.

Dans cette affaire, les parents d’une victime ayant été assassinée par son ex-conjoint avaient intenté une poursuite contre la Ville de Montréal pour la négligence commise par les policiers de son service de police. Ils réclamaient des dommages-intérêts personnellement pour préjudices moral et matériel, notamment pour la détresse morale subie par la perte d’un être cher (solatium doloris) et pour les frais funéraires.

Par une requête en irrecevabilité, la Ville de Montréal leur opposait le fait qu’ils n’avaient pas intenté leur action dans un délai de 6 mois, en contravention à l’article 586 L.C.V.

En première instance, la Cour supérieure donna raison à la Ville et conclut à la prescription du recours, au motif que les parents, n’ayant pas eux-mêmes subi le préjudice corporel, ne pouvaient invoquer le délai de 3 ans prévu à l’article 2930 C.c.Q.

Les honorables juges Vézina, Savard et Schrager de la Cour d’appel renversèrent toutefois la décision de première instance, étant plutôt d’avis que l’action desdits parents n’était pas prescrite puisque le délai de 3 ans s’appliquait, l’action étant « fondée sur une obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui ».

Le 13 octobre 2017, la Cour suprême confirma le jugement de la Cour d’appel et conclut que le délai de 6 mois adopté au bénéfice des municipalités n’était pas applicable aux victimes par ricochet d’une atteinte à l’intégrité physique d’une autre personne.  

En citant les juges Pelletier et Otis dans l’affaire Tarquini[2], la Cour a souscrit à leur interprétation de l’article 2930 C.c.Q., à l’effet qu’il était illogique de réserver l’emploi du qualificatif « corporel » à la seule victime immédiate et qu’un préjudice corporel est un « concept qui englobe l’ensemble des pertes morales et matérielles qui sont la conséquence directe, immédiate ou distante, d’une atteinte à l’intégrité physique d’une personne ».

La Cour suprême y ajouta notamment un argument de cohérence voulant qu’une interprétation restrictive de l’article 2930 C.c.Q. « ferait en sorte que des délais de prescription différents s’appliquent aux recours en responsabilité civile des victimes ayant subi les conséquences directes et immédiates d’un même acte fautif ». Elle a ainsi voulu éviter que la victime directe puisse bénéficier « d’un délai de trois ans pour entreprendre son recours, alors que toutes les autres victimes – bien que « directes » quant à l’atteinte fautive – [doivent] agir dans un délai de six mois »[3].

La question étant maintenant clairement tranchée, les villes et les municipalités devront composer avec l’interprétation de la Cour suprême et analyser les délais de prescription des réclamations qui leur seront transmises du point de vue de la victime immédiate d’un préjudice corporel, et non simplement du point de vue du réclamant. Si la réclamation découle d’un préjudice corporel et qu’une personne en subit des dommages directs et personnels, cette personne bénéficie d’un délai de 3 ans pour déposer une action contre la ville ou la municipalité, et ce, même si sa propre intégrité physique n’a jamais été en cause.

 

[1] Loi sur les cités et villes, art. 586; Code municipal du Québec, art. 1112.1

[2] Montréal (Ville) c. Tarquini, [2001] R.J.Q. 1405

[3] Dorval c. Montréal (Ville de), 2017 CSC 48, par. 36.

 

Me Carolan Villeneuve

Me Carolan Villeneuve
Avocate en droit municipal au sein du cabinet Dunton Rainville

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